Actualités - Je kiffe ma honte

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En 2022, j’ai fait·e un stage de Communication NonViolente sur la honte qui m’a fait·e prendre conscience à quel point ce sentiment était présent au quotidien pour moi et pour tant d’autres : derrière la pensée presque inaudible tant elle est habituelle «Ah mais oui, j’suis bête», derrière le stress d’un retard, derrière une réponse erronée en cours, derrière la gêne de sentir certains regards appuyés dans la rue, derrière ma fatigue en début de journée, derrière un rougissement quand je prends la parole en groupe, derrière la crainte d’un bourrelet, d’un poil ou d’un bout de peau dévoilés, derrière mon incapacité à comprendre une amie, derrière le fait de ne pas retrouver un papier important, après une marche loupée, avec une odeur corporelle, suite à une fausse note dans un solo…

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Avec toutes ces observations, je me suis dit·e que ce serait quand même bien de donner plus d’attention à ce qu’iel y avait derrière ce sentiment honteux.

Du coup la semaine dernière, j’ai refait·e un stage de Communication NonViolente sur la honte avec deux femmes formidables, Marie Mayyas et Lucile Poirier, qui se sont notamment appuyées sur le travail de Liv Larsson et Catherine Brunelle Durain que j’ai trouvé très intéressant.

“Si nous évitons la honte, nous évitons la vie” dit Liv Larsson. Car derrière la honte, iel y a la vulnérabilité, et derrière la vulnérabilité, iel y a notre mortablité. La mort fait partie intégrante de la vie !
Liv Larsson pense que le sentiment de honte est née en même temps que la conscience de la mort, c’est-à-dire à une époque où être exclu·e de la tribu signifiait mourir, tant l’environnement était hostile. Tout comportement ou état qui pouvait mettre en danger le groupe était donc banni. La honte serait apparue à ce moment-là, en s’ancrant comme un réflexe de survie, et ne nous aurait pas quitté·e depuis. Le fait de ne pas accepter d’être ceci ou de faire cela viendrait donc de cette angoisse d’exclusion d’un groupe d’appartenance (la famille, les ami·es, les collègues, les personnes du même sexe, les personnes du même bord politique…). Le besoin d’authenticité capitule face au besoin de lien.
Plus j’ai vécu·e de la honte, plus j’ai fait·e taire mon lien à moi-même et à ce que je ressentais dans mon corps, mon coeur et ma tête.

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Mais plus je reconnais et j'accepte la vulnérabilité qu'iel y a derrière ma honte, plus je peux me sentir vivante et à ma place. Je parle de cette vulnérabilité dans mes articles Qu'est-ce que l'improvisation vocale ? et Être vulnérable : quel défi immense que de créer une Circlesong ! Je suis au centre d'un groupe, tout le monde attend que je leur dise quoi faire, je vais utiliser ma voix et en plus en improvisant ! Alors quand le cadre offre la possibilité de vivre cette expérience en se sentant accueilli·e, quel cadeau...

C’est tout un chemin d’arriver à (re)trouver l’équilibre entre sa singularité et sa place dans le groupe et de restaurer l’image qu'on a de soi en ayant vécu·e de l’exclusion.

Ce stage sur la honte a été donc très enrichissant en apports théoriques, mais pas que. L’approche de Marie et de Lucile m’a beaucoup parlé·e pour plusieurs raisons :

  • la première, c’est que Marie a annoncé·e dès le début que la CNV n’était qu’un outil parmi tant d’autres, que ce n’est pas une vérité en soi et donc que cela ne parle pas à tout le monde. Elle nous a invité·e à faire le tri dans ce qu’on voulait garder et pourquoi.
  • l’observations des sensations corporelles a été très présente durant ces 3 jours. Dans mon apprentissage de la Communication NonViolente, j’ai parfois eu l’impression que c’était un outil très mental et je me suis fait·e des noeuds au cerveau en essayant maladroitement de l’utiliser. Recentrer les situations autour de comment je me sens dans mon corps m’a fait·e beaucoup de bien, parce que ça amenait une dimenson plus juste, plus fiable, tout en diminuant le risque de placer le problème chez l’autre.
  • l’approche était systémique. Notre honte s’inscrit dans un système : si nous ressentons aussi fréquemment de la honte, c’est parce que nous vivons dans un monde qui l’utilise pour permettre la domination de certain·es sur d’autres.

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Le partriarcat et le capitalisme jouent remarquablement de ce levier pour permettre le confort d’une partie de la population au détriment du reste : la honte d’être pauvre, la honte de ne pas avoir de travail, la honte d’être désiré·e (surtout chez les femmes), la honte de ressentir du désir (surtout chez les femmes), la honte de s’énerver (surtout chez les femmes), la honte de pleurer (surtout chez les hommes), la honte d’avoir peur, la honte de vivre de la violence, de ne pas être assez fort·e physiquement, la honte d’être dépendant·e, de perdre en validité, la honte de ne pas être assez productif/productive…

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Cet angle de regard m’a ouvert·e les yeux et soulagé·e aussi, je dois le dire, moi qui avais un peu honte de me payer un stage de «développement personnel». Pour ces formatrices, prendre conscience de ses hontes, c’est mettre de la conscience sur ses choix mais aussi sur le territoire dans lequel s’inscrivent ces choix : je ne peux pas empêcher des personnes d’essayer de me décrédibiliser en me collant l’étiquette d’hystérique, je ne peux pas empêcher des personnes de voter pour m’empêcher de disposer de mon corps. Je ne suis pas toute puissante et je vis en interdépendance avec les autres êtres humains.

Ce qui est en mon pouvoir, c’est d’avoir conscience de mes schémas pour éventuellement en changer et de défendre ce qui est important pour moi tout en acceptant d’avoir des limites. C’est déjà énorme.
Je peux ne plus avoir honte de ma colère quand je pose mes limites, je peux manifester, créer des collectifs, voter, organiser des temps d’échanges, comprendre les peurs des personnes qui pensent différement de moi pour pouvoir instaurer un dialogue, interpeler les pouvoirs publics... tout en acceptant d’être fatiguée de tous ces efforts et d’avoir besoin aussi de me ressourcer.

«La non-violence est le contraire de l'impuissance. C'est commencer à vivre tout de suite comme nous croyons que nous devons vivre, sans attendre que le monde change.»

Margalida Reus